Se faire réveiller un lendemain de soirée par ses parents en rogne, qu'on se le dise, ça craignait. Se faire réveiller un lendemain de soirée par une fille inconnue dans son lit, ça aussi, ça craignait. Mais se faire réveiller un lendemain de soirée par son poisson de colocataire qui frappe sur la porte comme si un serial killer s'était introduit dans l'appartement, ça, c'était le paroxysme de la craintitude. Ouvrant difficilement un premier œil, l'endormi de service qu'il était tenta une manœuvre risquée dès huit heures du matin : directement ouvrir le second. Grosse erreur. « Ptan ... ». La lumière en pleine figure le fit grimacer. Il avait juste envie de dormir, juste ça. Une heure de plus de sommeil, c'était tant demandé ? Il pensait qu'avec une fille comme colocataire, ça réglerait le problème ; la discrétion, la sensibilité, la je-ne-lève-pas-un-garçon-avant-dix-heures ... Fausse bonne idée. « Salmon, elle t'as rien fait la porte ... ». Ronchonnant de plus belle, il laissa sortir une jambe de la couette, juste pour s'étonner de la ramener trempée. Bon sang, il y avait vraiment un serial killer et le liquide c'était du sang. Se levant d'un bond, il soupira. Ce n'était que de l'eau. Que de l'eau. De l'eau. Putain. « Salmon, pourquoi y a de l'eau qui passe sous ma porte, au juste ? ». Il se leva la tête enfarinée et les deux pieds dans l'eau jusqu'aux chevilles. C'était un rêve. Il se tenait en caleçon dans l'eau au beau milieu d'un rêve. Les battements de Salmon à la porte le ramenèrent à la réalité. De l'eau. C'était le déluge. Noé. Les femmes et les enfants d'abord. Elle était où son arche à l'autre barbu. Ouvrant en grand la porte de sa chambre, il ravala un cri de stupeur. De l'eau. Partout. Sous le canapé, sous le frigo, sous son bureau, sous la table basse ... « Salmon, t'as voulu re-créer ton état naturel ou ... ». En caleçon dans l'eau. En caleçon. Dans l'eau. Le caleçon. Et merde. Repartant en vitesse dans sa chambre, il attrapa le seul short rescapé du naufrage avait de se diriger vers le lavabo qui s'était auto-proclamé fontaine publique - non sans manquer de glisser trois fois. « Bon sang, tu sais réparer ça ? ». Pitié, Saumon d'eau douce, dis moi que t'es Chuck Norris ou Bob le Bricoleur.

Ils allaient mourir noyés dans leur appartement, c'était désormais évident. C'était pour aujourd'hui. Dans vingt-quatre petites heures à peine, leur deux noms seraient glorieusement affichés sur la page d'accueil de mortstupide.com - et bizarrement, quitte à choisir, c'était toujours mieux que la revue funéraire à la fin du journal. Oh, le niveau d'eau n'était pas important à ce point, et la fuite avait l'air d'être assez bien colmatée à première vue. Non, ce n'était pas cette fontaine là qui lui faisait peur. C'était plutôt le geyser humain qu'était soudainement devenu Salmon. « J’suis désolé, vraiment, j’sais pas quoi faire… » Et ça pleurait, ça pleurait. Bon sang, elle n'arrêtait donc jamais de pleurer ? « Hey, Salmon, regarde moi. » Il y allait avec des pincettes, s'agenouillant dans l'eau avec précaution comme si le moindre contact étranger allait amplifier ses pleurs. D'un geste prudent, il avança les mains vers les siennes, fermement ancrées sur son visage. Mais c'est qu'elle tenait bon en plus ! C'était encore plus difficile que de décrocher des étoiles de mer de leur rocher. Allez Salmon, rend pas la situation encore plus compliquée, veux-tu ? L'eau froide qui imbibait lentement mais sûrement le bas de son t-shirt lui arracha une grimace. Sa mère, c'était glacé. « Hey, c'est bon, tout va bien. » C'était comme s'occuper d'un nourrisson, ou désamorcer une bombe nucléaire. Il était impossible de savoir si elle allait se calmer aussi vite qu'elle s'était emportée, ou juste exploser dans ses bras. Dix, neuf, huit, sept, six, ... Désemparé, il chercha autour de lui un moyen de la réconforter. Cinq, quatre, trois, ... Tient, c'était déjà là hier l'espèce d'hybride serviette-scotch ? « Ça a l'air de tenir ton truc en plus ! C'est bon signe, non ? » lança t-il d'un geste évasif et à peine convaincu vers le pansement le plus bizarre qu'il avait vu en vingt-trois ans d'existence. Deux, un ... Sans prévenir, le plus sarcastique des tuyaux du monde choisît de leur exploser à la figure. Littéralement. Ils étaient maintenant trempés de la tête aux pieds. Mais pourquoi est-ce que tu t'es levé ce matin ?!  Oh non. Salmon la bombe nucléaire. Il l'avait oublié. « Okay, la petite sirène. Je te jure que si tu pleures encore une fois, c'est moi qui craque. Donc faut penser stratégique. Téléphone ? » Sans un bruit, le mobile flotta à côté d'eux. Mon Dieu. S'il n'avait pas été aussi désespéré, il serait sûrement parti dans un fou rire incontrôlable. « On oublie le téléphone. Y a pas des seaux qui traînent quelque part ? »

Surtout. Ne. Pleure. Pas. Un coup d’œil suspicieux lancé vers Salmon, il pria intérieurement pour que quelqu'un là haut l'entende. Pitié. Arrêtez là. A côté d'eux, le tuyau continuait comme si de rien n'était à cracher sans interruption dans les airs. C'était assez impressionnant de voir la quantité d'eau qu'il y avait là-dedans. Un truc aussi petit ; qui aurait cru que du jour au lendemain, c'était capable d'éjecter des litres et des litres d'eau ? Ça venait d'où, tout ça ? De Narnia ? C'était pas indiqué sur le papier au moment de la transaction. Il n'avait pas donné son accord pour héberger une citerne. Oh, parce que vous pensiez qu'il parlait du tuyau peut-être ... ? « La cuisine ! Il y a des tonnes de gros plats à salade dans l’armoire à droite ! » Un grain de perspicacité, enfin ! Hochant rapidement de la tête, le brun se releva en essorant son t-shirt. A ce niveau là, il aurait mieux fait de l'enlever mais l'idée de se retrouver à moitié nu comme ça, trempé, devant une colocataire qu'il connaissait à peine lui donnait l'impression de tromper la copine qu'il n'avait plus. Question d'habitude. Stupide question d'habitude qui lui collait désagréablement à la peau comme le tissu rouge de son haut. Qu'est-ce que Joe aurait fait, qu'est-ce qu'elle aurait dit, qu'est-ce qu'elle aurait pensé. Un truc intelligent, pour sur. Kenny, tu t'égares. La fuite, l'eau, la noyade, le tapi détrempé, les téléphones flottant, les dessins imbibés, le déluge, la télévision miraculeusement épargnée, la saumon qui pleure, la télécommande grillée, le Titanic, Jack, Rose, tu t'en souviens ? « T'as trouvé les saladi ... WOW. » Deux secondes de trop, et il aurait finit avec un saladier en plastique incrustée dans la face. Qu'est-ce qui lui prenait ? Trop d'eau d'un coup, ça avait court-circuité quelque part ? « Salmon ?! » Il la fixa quelques instants, un air incrédule scotché au double-face sur le visage avant de comprendre qu'elle voulait juste aider. A sa manière, sûrement. La force cachée de cette fille était presque flippante. « Mais les seaux, c’est pour se faire un radeau, hein ? » Pas autant que sa jugeote, à tout bien y réfléchir. « T'as tout compris, et après on pourra se faire des tresses tout en ramant sur les deux mètres cubes de flotte ! » La réponse était sortie claquante, concise, sèche - pour contraster avec l'H2O ambiant. Kenny, relativise, c'est pas sa faute. « Désolé, j'suis pas encore bien réveillé ... » Attrapant d'une main le saladier, il le remplit à ras bord avant de tourner sur place comme une girouette. « J'ai besoin de ton avis. L'eau, par la fenêtre ? »

Il avait fait un peu de Droit, juste comme ça, pour essayer. Un semestre perdu dans une année où il était doublement paumé sur son avenir. L'architecture, c'était un rêve, et les rêves à cette époque là ça coûtait un peu trop cher pour la famille. Alors il avait squatté les amphis de Droit, il s'était dit que peut-être, il avait une chance dans la Justice. A côté de la madame et de ses balances. Et bien faux, archi faux. Il était nul comme pas deux dans le domaine. Et là, une bassine de flotte dans les bras, il y repensait. Il essayait de trouver en vain l'information capitale qui pourrait lui sauver la mise si jamais il finissait au tribunal avant la fin de la journée. La seule réponse qui importait vraiment. L'unique question. Était-il légal de balancer de l'eau sur les passants ? « Tu ferais bien de te réveiller, parce que j’ai d’autre chose à faire que de vider cet aquarium ! » Oh, elle l'avait mal pris. Très mal pris, à première vue. C'était pas sa faute, le second degré, il connaissait bien, mais il savait pas qu'elle en était pourvu d'un bon stock. Alors quand elle s'était mise à parler de radeau ... Ça avait été la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase. Littéralement. « Allez Salmon, fais pas la tête ... » Si elle était aussi tête de mule que lui, c'était foutu. Il serait capable de faire le sitting tout seul comme un con dans sa chambre, grève de la faim et tout. Bon d'accord, peut-être pas une vraie grève de la faim - une grève d'entrées ou d'apéritif, un truc du genre. Bref, c'était pas le problème. Le problème, c'était Saumon d'eau douce qui faisait la tronche avec sa bassine d'eau et refusait de lui répondre. « T’es assez grand pour prendre tes propres décisions. » Mais c'est qu'elle parlait ! Kenny, arrête d'être sarcastique sinon elle va refuser de payer le loyer ou de faire son tour de vaisselle. Il grimaça. T'aimes pas la vaisselle ? Et bah arrête de te plaindre et va arranger la situation. J'suis obligé ? MAINTENANT. « Hey, j'suis désolé ... » Tu peux faire mieux que ça, vraiment. La suivant dans son chemin vers la fenêtre, il trébucha une fois sur le pied de la table basse. Sa mère. Eau ou pas ça faisait foutrement mal. « Ptn ... Ecoute, désolé si je t'ai offensé ou quoique ce soit, je voulais pas, c'était con de ma part et je ...» Vous connaissez la pire réplique du monde pour avoir une nana ? Le coup de l'ange tombé sur terre ? C'était presque ça. Sauf que l'ange, c'était Kenny, et la terre c'était Salmon. BAM. Un mauvais concours de circonstance, un sol trop glissant, et c'en était fini d'eux, la tête dans la flotte, le ramassis d'humains.