Aujourd'hui était le jour, il le savait. L'idée lui était venue comme ça ce matin, au réveil, alors que nez encore dans son café, il avait checké son agenda de la semaine. C'était tellement urgent qu'il n'y avait pas réfléchi à deux fois avant de jeter sa tasse dans le lavabo au lieu du lave-vaisselle, sauter dans son pantalon et partir en direction du petit centre commercial. Tout ça en oubliant de sortir les poubelles - c'était Salmon-sous-l-océan qui allait encore crier en rentrant ce soir. « Pardon, excusez-moi, pardon, excusez-vous ! » Aujourd'hui, c'était décidé ; il allait s'acheter de quoi ressembler à un vrai architecte. Un vrai de vrai, un tout beau, un tout sérieux, un tout fiable. Parce que pour le moment, sapé de la sorte, son premier client risquait davantage de penser qu'il venait dérober les meubles et l'argenterie de famille. Moyen moyen s'il voulait se créer un nom dans le domaine. Esquivant une mère de famille qui traînait littéralement ses quatre enfants derrière elle, il respira un profondément avant de se lancer dans la cohue. Forcément, comme le bon représentant de la gente masculine qu'il était, il avait oublié que c'était les soldes. Dans sa tête ; la panique totale. La savane. La seconde guerre mondiale en première ligne et sans gilet pare-balles. Hunger Games sans sponsor. La bataille de Poudlard sans baguette. Il n'était génétiquement pas fait pour ce genre de situations. Il avait l'impression de nager dans une masse d'hormones féminins, agrémentés d'un je ne sais quoi de pulsions mortelles.

Se ruant au rayon hommes, il prit sans regarder les premières chemises qui lui tombaient sous la main - à ce niveau là, tout était bon à prendre avant de mourir étouffer dans le nombre. Finalement, ce fut comme par magie qu'il se retrouva face aux cabines d'essayages. Désorienté, il regarda autour de lui pour comprendre avant d'hausser les épaules. L'univers avait du prendre pitié de lui et lui envoyer un espèce de trou noir temporel le ramenant directement devant les rideaux. Sans réfléchir, il tira le premier pan de tissu devant lui. « Oh navré, j'avais pas vu ! » C'était ce qu'il avait voulu dire. La réalité ? Une succession de jurons étouffés dans le moment. Apparemment, l'univers se marrait bien là haut et avait rajouté une fille à moitié nue dans le package. Comme ça, pour le fun. Et merde. Elle avait l'air foutrement énervée. « J'suis désolé, j'vous jure que j'ai rien vu ! » Ça, il l'avait vraiment dit, mais pour le coup, c'était totalement faux. Les joies de la mémoire visuelle ; il était parfaitement capable de décrire ses sous-vêtements. Kenny, ferme là sur ses sous-vêtements ça va pas t'aider. S'adossant contre la cabine pour cacher, en vain, le champ de vision qu'il avait ouvert au public entier du magasin, il bafouilla quelques excuses en priant pour que la blonde ne décide pas de assassiner avec un cintre.

Vous savez cette croyance que vous avez quand vous êtes gamins ? Mais si ; celle qui soudain du jour au lendemain, et sans plus d'explications que cela, vous rend persuadé que si vous pensez trop à quelque chose, cette dite-chose finira par se produire. Vous la visualisez ? Bien. Au premier abord, ça sonnait plutôt cool comme truc. Presque comme un super pouvoir - en réalité, c'était moins drôle que ça en avait l'air. Il y avait des règles, forcément. C'était trop beau pour être vrai sinon. Personne n'arrivait à réaliser des souhaits dans la veine du : "pitié que la neige tombe pour que je n'aille pas à l'école à demain". Bizarrement, c'était seulement les pensées les plus nulles ou tordues du monde qui se matérialisaient à la place. Le contrôle surprise, le pneu qui crève, la carte de crédit perdue, les chaussettes dans l'eau, la bouteille de lait vide dans le frigo, le ... cintre dans la tête ?! « EH. » Déboussolé plus qu'offusqué, il pivota néanmoins vers la blonde par simple réflexe. Grosse erreur, elle ne s'était pas encore rhabillée et semblait posséder un stock assez impressionnant de cintres avec elle. Eh re-merde. Il plaqua sa main sur ses yeux, laissant un mini champ de vision entre ses doigts pour éviter les prochains projectiles. Et voilà que ça criait, et voici que ça le traitait de pervers, alors que tout gêné comme il était, il ne savait plus où se cacher. Aurait-il été un connard de première qu'il serait déjà loin du magasin à ricaner de sa blague ; peut-être qu'il aurait du s'accorder ce trait de caractère là pour la journée, puisqu'en face de lui, une version blonde du Capitaine Crochet pointait sa croche métallique en plein dans son visage. « Non mais tu crois vraiment que je me suis embêté à me traîner jusqu'ici pour tirer un rideau en espérant voir une fille nue ? » Il recula légèrement, installant une distance de sécurité entre la folle et lui. De ce qu'il entre-apercevait, elle avait renfilé son jean et son haut. Dieu Merci. Il esquiva un geste pour redescendre la main de son visage ; mais fini par se dire que vu l'impulsivité de la nana, il ferait mieux de se protéger autant qu'il le pouvait. « Si j'avais voulu en voir j'aurais, j'sais pas moi, trouvé une copine ou allumé YouPorn ! »

A y repenser, mentionner Youporn n'allait définitivement pas l'aider à se faire passer pour quelqu'un de sensé qui ne tirait pas les rideaux des cabines déjà occupées - honnêtement, un rideau ? Ils ne pouvaient pas investir dans des portes avec un joli verrou, un voyant rouge, un signe STOP, n'importe quoi, pour éviter des accidents pareil ? Mais à première vue, la blonde ne relevait pas. Il allait peut-être avoir une chance de s'en sortir vivant, avec ses deux yeux encore dans leur orbite. « You quoi ? …  Euh en fait non je veux pas savoir ! » Les cordes vocales du brun esquissèrent un rire malgré sa volonté ; il jaugea d'un œil méfiant toute réaction possible de la victime de sa maladresse. Ce n'était pas le moment de tout faire capoter, elle avait l'air de se calmer. « C’est bon, je vais pas t’agresser … du moins je n’en ai plus l’intention ! » Dieu merci ! Rassuré, il poussa le plus grand soupir de soulagement de la catégorie des soupirs post-une-blonde-a-failli-m'éborgner. Autour d'eux, l'effusion de gens retombait doucement ; monde de brutes qui aurait préféré qu'elle le tape vraiment. Apparemment le manque d'action avait fini par les éparpiller plus qu'autre chose, à moins que ça n'ai été grâce à l'intervention de l'inconnue. Il lui en était reconnaissant pour cela - les scènes en plein lieu public ? Très peu pour lui. « Tu m’as … surprise … on va dire ! Et tu n’es pas tombé sur la cabine de la fille la plus calme … J’ai laissé parler mon impulsivité … ! » Ça, c'était bien le seul trait de sa personnalité qu'il avait découvert pour le moment. Mais à l'observer plus fixement - et plus habillée - elle n'avait plus l'air si menaçante que cela. Si ce n'était pas pour le cintre encore bien agrippé par sa main. Il ne sût s'il s'était trop attardé dessus, mais elle finit par reposer l'arme de fortune dans la cabine. « C’est bon j’ai plus d’arme en main !! Mais la prochaine fois fait attention, tu pourrais tomber sur une pire tigresse que moi, je te jure que j’ai été très gentille ! Donc quand tu vois rideau fermé, n’ouvre pas ok ? » Reçu cinq sur cinq, il n'allait même plus oser mettre les pieds dans un magasin à ce niveau là. Restant bête pendant quelques secondes à regarder ses pieds, il finit par prendre la parole. « Entendu, merci, hein. Tu sais, pour m'avoir laissé mes yeux et tout, c'était sympa. » Les mains flanqués dans les poches de son jean, il sourit en coin. « Tu sais quoi ? Pour me faire pardonner, je t'offre un café. »

Il avait terriblement besoin d'un café, là, maintenant. A même la cafetière, un litre cul sec, un bon coup de caféine dans les veines pour repartir à zéro ; parce qu'au bout du compte, il avait beau être sorti indemne de cette histoire, il sentait encore le rouge qui ne voulait pas quitter ses joues. C'était comme ça, dès qu'il était ne serait-ce qu'un tantinet gêné pour une raison ou pour une autre, BAM. Rouge. A croire que les gênes de rouquin le guettaient dans l'ombre, attendant la moindre occasion, le moindre lacet de chaussure coincé dans la porte du bus, la moindre semelle couinant trop sur le sol plastifié, le moindre rideau de cabine d'essayage mal fermé pour lui sauter dessus et prendre son visage en otage. « Non, je ne veux pas que tu m’offres un café ! ». Elle était là sa rançon. Passant d'un rouge pivoine à un blanc presque maladif, il scruta attentivement le visage de la blonde. Qu'est-ce qu'il avait encore fait de mal ? Ses yeux firent rapidement l'inspection des lieux, ne trouvant rien à signaler au cerveau. Il n'avait même pas emmené par inadvertance un soutien-gorge qui aurait pu traîner par terre. Son regard remonta vers le visage de l'inconnue, illuminé d'un il-ne-savait-quoi de trop malicieux pour être sérieux. « Mais … un chocolat chaud, avec de la chantilly et une boule de glace à la vanille à côté oui ça je veux bien ! ». Deuxième soupir, suivi de très près par un rire soulagé. Il lui paierait tous les chocolats chauds qu'elle voudrait si elle arrêtait de lui faire des frayeurs pareil - mais quelque chose dans la façon qu'elle avait de sourire en coin lui garantissait qu'elle devait être un sacré phénomène. « Va pour le chocolat et ... Tout le reste. » Il remua sa main libre dans le vide pour marquer les points de suspension ; à vrai dire, il avait déjà oublié ce qu'elle voulait commander tellement il était heureux de ne pas finir empalé vivant sur un porte-manteau. Le Jesus Christ du H&M. « Tu me laisses ranger mes affaires ? Toute façon là maintenant j’ai plus vraiment envie d’essayer quoi que ce soit ! ». Et rebelote la culpabilité passagère. En plus de l'avoir ridiculisée, il lui avait coupé son envie de shopping. « Tu veux peut être essayer ? … Si tu veux je te trouve une cabine où aucune fille ne t’attaquera ? ». Essayer ? Fille ? Quoi, pardon ? Baissant les yeux vers la paire de bras qu'elle fixait, il compris. Ses chemises. « Si jamais cela t’intéresse la fille qui a voulu t’éborgner s’appelle Sarafyna, mais tu peux juste l’appeler Sara ! ». L'emploi de la troisième personne lui arracha un rictus. Elle était sympa, cette Sara. « Sara. Si tu veux savoir le prénom de l'imbécile qui a ouvert le rideau c'est Kennedy, mais tu peux l'appeler Kenny. Faut pas lui en vouloir, il paraît qu'il a un peu la tête ailleurs en ce moment. Que des rumeurs. ». Il fixa les cabines, puis ses chemises. Cabine, chemises, cabine, chemises, cabine, Sara. « Tu sais quoi ? On va gagner du temps. ». Se reculant d'un bon mètre, il brandit successivement la chemise noire et la blanche devant son torse. « Avis féminin, tu préfères laquelle ? ».

Indécis, le brun interchangea une nouvelle fois les vêtements. Noir. Blanc. Noir. Blanc. La chemise noire, ça faisait classe mine de rien. « Alors ? » Devant lui, son reflet lui renvoya un coup d’œil confiant. La chemise noire, ça faisait mafieux italien qu'il ne fallait pas embêter sinon, ma que, pizza, pesto, mamamia et tout le reste. Le parrain, quoi. Le cigare, le respect, le flingue. La chemise blanche, ça claquait autant dans le genre épuré sympa. Un peu moins parrain, mais tout de suite une peu plus fiable. Pinçant les lèvres, il releva la tête vers Sara. C'était une aubaine de l'avoir là, finalement. Comme quoi, il y avait vraiment du bon dans chaque situation. « C’est pour quel occasion ? Un job ? Une demande en mariage ? Un dîner romantique ?… ». Mais c'était qu'elle n'arrêtait jamais en plus celle-la ! Ses lèvres esquissèrent un nouveau sourire. Ça lui faisait du bien, de sourire autant en si peu de temps. Il avait l'impression que ça faisait une éternité depuis que ça lui été arrivé. « Désolé, je rigole ! Bon moi je te dirais que n’importe pour quoi c’est, j’aime le blanc ! Le blanc c’est cool ! Prend la blanche ! ». Baissant les yeux vers son torse, il se mordit la lèvre inférieure. Elle avait raison, le mafieux ça passait pas pour ce genre de rendez-vous. Satisfait du choix de Sara, il reposa nonchalamment la chemise noire sur le premier portant venu. « Tu me sauves la vie, si tu savais ... ». Non, elle ne savait pas, c'était ça le truc. Elle ne devait pas y comprendre grand chose à son dilemme de chemises. L'invitant à le suivre en direction des caisses exceptionnellement vides - tout le monde était subitement mort ou ... ? - il se racla la gorge. « J'ai ce client, en milieu de semaine. Un gars super important, je visite la maison et tout ... ». Kenny, je ne suis pas sur que ça aide à expliciter plus, ton truc là. « Désolé, ça fait vraiment prostitution gay à y repenser ... Pas que je sois gay, hein ! Ni prostitué, en fait. ». Et bah gamin, il allait falloir reprendre des cours de sociabilisation. De nouveau rouge, il glissa la chemise sur le comptoir de la vendeuse en priant pour qu'elle n'ai pas entendu ce qu'il venait de dire. « Je suis architecte, enfin presque. Ce gars là c'est mon premier vrai client, je peux pas me planter et me pointer habillé comme un clochard. D'où la chemise. ». Avec un sourire reconnaissant, il attrapa le sac en plastique dans lequel était sa chemise - blanche, pas noire - et se retourna vers Sara. « Direction le café-pas café alors ? ».

Il en avait perdu avec la gente féminine, c'était un constat qui sautait aux yeux. Il ne savait pas si c'était à cause du marathon qu'il menait après l'amour de sa vie, ou parce que sa dernière vraie interaction avec une fille remontait à Salmon et l'épisode du grand déluge, mais il était définitivement retourné à la phase "fille, quoi, moi pas connaïtre" que traversait la plupart des pré-pubères pas doués. Cette période où soudainement, le décolleté d'une fille devenait le truc le plus chouette au monde - encore plus que le parc Disney. Mais forcément, tout ça c'était trop beau, il fallait que la voix qui mue vous casse le peu de groove que vous, pauvre adolescent de quatorze piges, possédez. Son vieux groove à lui s'était apparemment bien planqué au fin fond de ses souvenirs, et ne voulait en aucun cas sortir de son placard de la honte. Très bien, il allait devoir retrouver la main tout seul. Etape un : ne plus mentionner la prostitution - la grimace de Sara ne lui avait pas échappé. Etape deux : ne pas chercher à comprendre pourquoi ce mot en particulier avait eu cet effet sur elle. « Ohh tu es architecte c’est top ça ! Tu fais quoi ? Tu es sur un projet de maison close ? ». Les piques. Encore, toujours. C'était tout bonnement génial. Décidant de jouer le jeu, il laissa son visage prendre une expression choquée - ou du moins il cru réussir à le faire. Impossible de contenir son rire sous sa mimique. « Comment t'as su ?! Je te jure, Sara, tu me lis déjà comme un livre ouvert. ». Il avait besoin de ça. Pouvoir jouer à l'idiot sans manger le trottoir. « Désolé c’était trop tentant ! Mais promis j’arrête avec mon humour à deux balles ! ». Pour le coup, son expression de choc était réelle. « Surtout, ne fais jamais ça. ». Un clin d’œil au passage, il sortit du magasin, sac à la main. Bon, le café/pas café. Dans sa tête, il tût les grésillements des haut-parleurs pour essayer de se concentrer sur sa destination. Un vrai GPS. « Pour être sérieuse pour une fois … L’architecture c’est vraiment chouette ! Et j’espère que cette chemise te portera bonheur pour ton rendez-vous ! Même si je te connais que depuis … quoi dix minutes … je te souhaite de réussir ! ». Il se retourna avec un sourire. Il espérait vraiment réussir aussi pour le coup ; encore trois petites années et il était jeté dans l'immense bassin de la vie rempli de piranhas et de requins. Ce rendez-vous, c'était son opportunité de se faire un contact. Le bouche à oreille se contenterait du reste. « On croise les doigts, hein. Et merci, ça fait toujours plaisir à entendre. ». Regardant autour de lui, il finit par hocher de la tête. Le Costa Café semblait être la meilleure option. « Ça te dérange de marcher un peu ? C'est juste au bout de la rue. ».

Il avait mal jugé la distance entre eux et le Costa Café. Enfin, il n'en était pas si loin que ça en soit ; il avait juste oublié de prendre en compte le flux inverse de gens se ruant vers les magasins. Incrédule, il fixa la cohue avec incompréhension. Sérieusement, d'où est-ce qu'ils débarquaient tous comme ça ? Une minute, ils n'étaient plus là, et la seconde d'après c'était l'apocalypse. Walking Dead. Les Hunger Games. Le premier qui trouverait le lot de slips à 70 % sortirait vainqueur. Fallait forcément s'attendre à ce qu'un couple décide de se partager le paquet au lieu de suivre les règles imposées. Viva la revolucion, hein. « Mais en vérité qui me dit que tu n’es pas réellement un psychopathe ? Que ton petit jeu de jeune garçon tout honteux et tout le reste n’était en réalité que de la comédie ? ». Pardon, quoi ? Ses pieds freinèrent immédiatement sur place. Avec une lenteur exagérée au possible, il se retourna vers elle, à la limite de l'admiratif. Il lui avait fallu dix secondes. Littéralement dix secondes pour qu'elle reparte au quart de tour. Ce n'était pas possible, ce n'était même plus humain à ce niveau là ; elle devait être magique. Tout dans les cheveux, comme Raiponce. Eugène, je t'interdis de lui couper sa chevelure, ne serait-ce qu'un centimètre. « Edward, tu deviens beaucoup trop fort à ce jeu là, ça en devient presque effrayant. ». Il s'était efforcé de reproduire la façon de bouger les cils de Kristen Stewart - autant dire, une fois tous les milles ans - pour finir par cligner des yeux comme un fou. Bon sang comment elle faisait ça, ça déshydratait tellement qu'il avait la désagréable impression qu'on lui avait lancé un ventilateur en pleine face. Ou un bon coup de sèche-cheveux. « Je t'avoue que j'ai aucune réplique de ce truc là, j'ai jamais vraiment regardé. ». Faux. Faux et archi-faux. Pandore l'avait forcé à regarder les quatre films à la suite - ou il y en avait cinq ? Il avait perdu le compte au bout d'une heure, entre l'autre Pocahontas version mec et Monsieur Sparkles qui se battaient en duel pour la même fille. La déception suprême de voir que les deux idiots ne finissaient pas ensemble - ça aurait tout de suite réglé le problème. « Demande la fille qui a failli te tuer tout à l’heure ! Donc même si tu es un psychopathe tu devrais avoir peur du coup ! ». Peur d'elle ? Nah, elle n'avait plus le cintre dans la main, rien à signaler. « Je prends le risque, c'est sûrement le psychopathe en moi qui parle. ». Lui ? Un psychopathe ? Il était des tonnes de choses, mais à des années lumières de cette définition là. Parole de gars qui tirait les rideaux des cabines par inadvertance. « C’est loin ? Tu m’amènes où ? J’espère pour toi que là-bas ils font un bon chocolat chaud ! ». Le chocolat, oui, la glace et la chantilly, il allait falloir négocier sévère. Mais quelque chose lui disait que ça, Sara allait pouvoir s'en occuper. « Je t'emmène où ? Bonne question, si je te donne trop d'infos la police retrouvera ton corps trop facilement. » répondit-il du tac au tac. Elle l'avait lancé sur le sujet, c'était trop dur de résister à son humour maintenant.

Il n'avait pas remarqué que le centre commercial était plein à craqué de flics. Un peu partout, près des escalators, des sorties de secours, des sorties tout court ... L'effusion des soldes, sûrement. Ça devait regorger de nanas qui avaient arraché l'anti-vol avec leur dents avant de cacher le truc dans leur soutif. Respect ultime à elles, il fallait avoir une sacré mâchoire pour réussir à désamorcer la chose sans faire de trou dans l'article. Il n'avait rien contre l'autorité, vraiment ; un pv par ci, un trottoir squatté par là ... Il se rendait facilement, c'était à la limite de payer plus que ce que marqué sur l'amende pour se faire pardonner. Mais de là à devoir expliquer à un agent pourquoi il parlait de cacher le corps de la blonde avec qui il était ... « Toi…Toi … De toute façon m’en fous, parce que je me suis fait poser une puce dans mon corps et on peut savoir toujours où je suis ! Et du coup la police me retrouva d’une façon ou d’une autre ! Et jamais oh grand jamais tu ne seras où elle se trouve dans mon corps ! ». Le doigt accusateur pointé vers son visage lui rappela étrangement le cintre d'un peu plus tôt, à croire que Sara avait développé une pathologie l'obligeant à gentiment menacer les gens d'une façon ou d'une autre. S'engouffrant entre les portes automatiques pour ressortir de l'arène, il attendit que les policiers soient à une distance acceptable pour exploser de rire. Une puce ? Dans le corps ? Vraiment ? Où est-ce qu'elle allait chercher tout ça ? « Puis tu iras en prison, mais un de tes potes te rejoindras avec tous les plans de la prison tatoué sur lui et tu sortiras de là, mais mon fantôme te hanteras jusqu’à la fin des temps … Voilà voilà ! ». Il attendait la suite, une révérence, le coup de grâce n'importe quoi. Aurait-il eu un award dans les mains qu'il aurait décerné une cérémonie entière à son imagination. Là, tout de suite, sur le trottoir. « Okay okay, je me rends, t'as gagné Edward ! » déclara t-il en applaudissant. C'était impossible de répliquer autre chose après ça, il aurait du tout noter quelque part tellement c'était génial, leur piques de psychopathes. « C’est ici ? Parce que si c’est ici, je connais, j’y vais avec Roméo ! Et tu auras gagné mon pardon ! Parce que oui malgré tout je ne t’ai pas encore pardonné ! Après le chocolat tu seras pardonné ! ». Roméo ? Incapable de savoir si c'était encore une blague ou si un vrai Montague se baladait hors du temps à Ayr, il décida de passer outre l'information. Oh, le Costa Café serait son pardon ? Il avait bien visé. « Prépare ton discours alors, c'est là qu'on va. » Un dernier passage piéton, et ils y étaient. « Après toi ! » Ouvrir les portes, c'était la moindre des choses. Ouvrir les rideaux ? Un peu moins. L'odeur du café le calma immédiatement. Il avait une véritable obsession avec ça. « Chocolat chaud, glace vanille et chantilly, c'est ça ? » Bon sang, comment est-ce qu'il allait négocier ça ... L'invitant à le suivre jusqu'au comptoir, il s'éclaircit la gorge deux fois avant de prendre la parole. « Bonjour, un cappuccino et un chocolat chaud s'il vous plait. » Un regard en biais vers Sara, il posa ses coudes sur le comptoir comme pour l'écarter de la conversation. « Ça serait possible de rajouter de la glace à la vanille et de la chantilly avec le chocolat chaud par hasard ? » La brune derrière le comptoir le toisa d'un air méfiant. Allez Kenny, réfléchis. Trouve un mensonge, invente un truc - de préférence quelque chose qui n'inclut pas le fait que t'as rencontré Sara en tirant le rideau de sa cabine. « Ma copine est légèrement énervée, longue histoire. C'est nos deux ans, donc vous savez ... » Un coup de coude discrètement placé entre les côtes de Sara pour lui faire comprendre, il soupira de soulagement en voyant qu'elle se mit à jouer le jeu et que la serveuse avait totalement mordu à l'hameçon.

C'était un mensonge pourri. Le coup de la copine, sérieusement ? Il venait à peine de la rencontrer et il la présentait à une serveuse, comme ça, en déclarant qu'elle était sa copine juste pour arriver à lui obtenir de la glace et de la chantilly ? ... Okay, rectification, c'était assez marrant comme mensonge. Pourquoi il n'en avait pas profité pour se commander pareil ? « Oui vous savez… En fait c’est lui qui m’a énervé ce matin ! Je vous jure il a ouvert le volet de la chambre alors que j’étais en sous vêtement, comme si tous les voisins avaient besoin de voir ça, je vous jure ! Depuis du coup il ne cesse de vouloir se faire pardonner et c’est ma boisson préféré alors s’il vous plaît, cela m’évitera de devoir l’éborgner ce soir, ce serait vraiment bête pour notre sortit de nos deux ans ce soir ! Ce n’est pas chouette avec un seul œil ! ». C'était difficile de ne pas rire, ça faisait mal de sentir la crise monter le long de ses joues et de devoir la ravaler aussi sec. Alors à moitié rouge de s'empêcher de respirer, il hocha de la tête avec un air penaud. Dans le genre convaincant ... Finalement, après quelques secondes à les dévisager à tour de rôle, la brune se retourna préparer leur commande. Magique. Il se promis intérieurement de retenter le coup un de ces jours. « Et voilà ! ». Un clin d’œil bref vers sa "copine", il attrapa les boissons chaudes avant de chercher une table à proximité. Parce mine de rien, glace ou pas, il était clairement en train de se brûler les doigts. « Point supplémentaire pour le coup des volets, bien joué. ». Ils avaient réussi à feindre une relation de deux ans en deux minutes chrono, si ça c'était pas du record. C'était à rajouter en dessous de "bousiller une relation de deux ans en deux minutes chrono". Arrête. De. Penser. A. Elle. Sentant presque les futures cloques se créer sur ses doigts, il abandonna la quête vers la table parfaite pour s'arrêter sur la première venue. Mauvaise lumière, pilier bancal qui cachait la vue sur la rue, il y avait tout à refaire. La déformation professionnelle le voulait. « Je suis ta copine maintenant et ça fait deux ans ! Tu es un marrant toi ! ». Il leva sa tasse avant de trinquer dans le vide pour acquiescer. Marrant, peut-être. Malin, sûrement, quoique. Il aurait pu mentir autrement, créer autre chose. Une sœur qui venait de rentrer de Sibérie, une cousine qui sortait de dépression, une autre qui sortait de prison. Deal de pingouins, n'importe. Mais son cerveau avait directement embrayé sur le seul truc qu'il connaissait sur le bout des doigts : une relation de deux ans. Le mensonge parfait. Il avait appris son sujet par cœur, et retenu doublement la leçon. Si seulement il suffisait de la ramener à un café et de lui offrir du chocolat, de la glace, et de la chantilly. Pensif, il avala une gorgée de son cappuccino avant de s'étouffer royalement dessus. C'était brûlant, putain. « A présent la question est …. Mérites-tu ton pardon ?! ». Un seul regard vers elle, et il compris. Oh, un chocolat chaud n'allait pas suffire. Elle voulait encore jouer, et il était assez poli et curieux pour se jeter dans le vide la tête la première. « Je pensais que c'était déjà le cas ? Ou alors il y a des règles quelque part dont je n'ai pas connaissance ? ». C'était comme signer un contrat et découvrir les petites lignes en bas de page. Ça faisait légèrement peur, mais fallait bien lire. « Tu accepterais de faire une dernière petite chose pour moi ? ». Qu'est-ce qu'elle avait encore inventé ... « D'accord. ». Kenny, t'es fou. « Mais je te préviens, je tue personne pour toi, on se connaît pas assez. ».

Il ne savait ce qui, dans le cappuccino, le poussait à en boire à l'excès. Le sucre ? Le savant mélange de la caféine et du chocolat ? Qu'importe la personne qui avait inventé cette boisson, il la bénissait. Dans le genre bien - la boisson, hein, il était strictement contre le culte de la personnalité. C'était devenu une addiction, sa cigarette à lui, son héro, sa meth. Le matin, cappuccino, après manger, cappuccino, le soir, cappuccino, les insomnies, cappuccino, les blondes qui arrivent à vous faire parler meurtre, cappuccino. Ça collait en toutes circonstances, les blondes qu'arrivaient à vous faire dire des trucs pareil. Fallait les garder dans un coin, les protéger, quelque chose. Un truc comme pour les espèces protégées. Fallait les préserver à tout prix, mettre la CIA et le FBI sur le coup. Une pétition, une association, une manifestation. « Ohh alors ça veut dire que si on se connaissait plus, tu aurais été capable de tuer pour moi ! Attention maintenant que cela est dit et bien c’est dit ! Je le retiens ! ». Lui, tuer quelqu'un ? Ahahaha. Il y avait songé. Une fois, une seule petite fois quand Joe lui avait montré la photo d'elle et du gars qui s'était permis de l'embrasser pendant son absence. Fautif ou pas, c'était plus fort que lui. L'envie de vouloir ce type avec une jambe en moins, ou carrément les deux. Des bras ? Nah, personne n'avait besoin de ça, il pouvait l'en débarrasser aussi. Il y avait vraiment, vraiment songé. « Tu retiens ... T'as une liste de personnes à tuer quelque part, c'est ça ? Genre Death Note ? ». Il ne restait plus qu'à espérer que non, avec ce qu'il venait de faire aujourd'hui, il avait toutes ses chances d'atteindre le fatidique palmarès du top 3. Surtout qu'elle ne semblait pas du tout prête à le pardonner. Le laisser mariner dans l'incertitude, c'était plus fun, hein ? « J'suis pas sûr de vouloir faire ton sale boulot, Cullen. ». Oh, elle voulait se faire pardonner avec son propre règlement ? Il ferait de même avec le sien ; et ça incluait une bonne poignée de surnoms stupides et de remarques à la con. « Non, promis tu ne devras tuer personne pour moi ! A vrai dire c’est même beaucoup cool ce que je vais te demander ! ». Et encore la même lueur malicieuse dans le regard. C'était ... Effrayant ? Se raclant la gorge sur l’appréhension, il avala une gorgée de cappuccino pour la faire passer. « Si c'est "beaucoup cool" alors vas-y, je suis tout ouï mais je te préviens, j'ai mes limites, je ferai pas de fausse demande en mariage pour qu'on t'offre ton poids en glace vanille. ». Question de principe, et puis, ça serait pas rentable. Un poids plume comme elle, ils allaient gagner une coupe, à peine. Tout ça pour rien ! « Je veux un bisou, juste là ». Wowowow, attendez, quoi ? La tête penchée vers sa tasse, il n'avait pas vu le doigt qu'elle pointait sur sa joue. Bon sang, le rush sanguin pour rien. Le mot bisous hors contexte - le contexte étant Joe, évidemment - le rendait légèrement paranoïaque. Alors bonjour le soulagement en voyant qu'elle montrait bien sa joue, et pas les lèvres qui se dessinaient en dessous. « C’est la tradition chez moi ! Tu n’as pas le choix ! ». Allez Kenny, c'est qu'un bisous sur la joue, c'est pas comme si elle comptait tourner la tête au dernier moment ! Et merde, le voilà encore plus paranoïaque. Kenny, t'es plus avec Joe et c'est un bisous sur la JOUE. « S'il n'y a que ça pour me faire pardonner ... ». Un peu sur la défense, il se leva maladroitement de sa chaise pour se pencher vers elle. Quelle idée de s'être foutu en face, il n'avait pas pensé à la circonférence de la table. C'était le bisous le plus gênant de l'histoire des bisous gênant de l'Univers. Finalement, aux bouts de quelques secondes à choisir l'angle avec lequel il pourrait éviter de faire tremper son t-shirt dans le cappuccino, il planta un bisous rapide sur la joue de Sara avant de se rasseoir à la vitesse grand V.