Rien de mieux qu’un bon café à 7 heures du matin pour se remettre d’une fête qui s’est terminée à 6h30. Tu te délectes de ce petit moment de plaisir, confortablement installée, sans personne pour te déranger. Enfin, presque. Ton portable se met à hurler dans tout le Costa Café, de quoi accentuer ta migraine. Putain de merde. Tu soupires, c’est l’assistante d’Hartoowd. Le boulet de service. Un vrai bourreau de travail cette fille, elle ne vit que pour servir son patron. Parfait cliché. En plus elle te suit à la trace comme un petit toutou depuis que tu as signé le contrat, c’est limite du harcèlement. A croire que l’entreprise a peur de perdre son nouveau visage. Sans savoir vraiment pourquoi, tu te décides à décrocher.

- Je vais te poursuivre pour harcèlement moral !
- Tu comptes venir Jude ? Ou ton retard est synonyme d'absentéisme ?

Autant dire que tu avais complètement oublié le shooting photo de ce matin. En même temps, quelle idée de le programmer si tôt. Tu ne te couches pas à 21 heures du soir pour te lever à l'aurore. Tu profites des plaisirs exhaustifs de la nuit parce que tu as une vie socialement, toi.

- Je suis coincée dans les bouchons.
- Je ne t’entends pas klaxonner.
- Laisse-moi deviner, t’as oublié de mettre ta prothèse auditive ?

Entre vous, pas de formule de politesse, c’est marche ou crève. Dans le fond, tu adores vos échanges parce qu'elle te vend du rêve. Elle reste calme quoi qu'il arrive, même quand tu lui raccroches au nez, parce qu'elle sait que tu vas ramener ton cul au studio, elle te connaît bien. Cerner les gens c'est son truc, la faire criser c'est le tien. Le mélange parfait. Du coup, tu emportes ton café délicieux et entreprends de te rendre à la séance photo avec ... hum ... 45 minutes de retard ? Rien que ça. Quand tu arrives, tout le monde est en panique, on dirait qu'un tremblement de terre a eu lieu. Eh non, c'est seulement toi. Pour le meilleur et surtout pour le pire. Parce que tu aimes que ton entrée soit remarquée.

C’est la troisième fois que tu viens dans ces locaux mais tu ne parviens pas à t’habituer à la couleur des murs. Ce blanc livide est atroce, c’est un crime orbitaire. Un blasphème pour la religion que tu défends. Mais cette fois, ce qui t’irrite réellement c’est le bruit. Ta migraine revient pour mieux t’achever tandis que le tout le monde s’agite autour de toi. Bonté divine. T’as des envies de meurtre. Egorger le coiffeur, trancher la gorge de la maquilleuse, arracher la langue du photographe. Alors que t’es en train de fantasmer sur les différentes façons d'obtenir le silence, t’aperçois Hartwood et son boulet de service accourir dans ta direction. S’il se trimballait pas cette sangsue H24, il aurait vraiment la classe.  

- C'est pas trop tôt, j'ai failli vous attendre. Il me faut une aspirine de toute urgence.

 

jude & eytan

crackle bones

Tu es profondément déçue par la réaction d’Hartwood. A croire qu’il ne tient absolument pas à être un patron crédible, tant pis pour lui. Au moins il passe pour le ringard dont on peut se moquer sans la moindre difficulté. Sérieusement, te frapper avec un magazine ? Il souhaite tellement te toucher qu’il a besoin d’utiliser un substitut pour dissimuler ce désir ? C’est presque touchant. Presque parce que de toute évidence, tu es incapable d’éprouver ce sentiment. Principalement parce qu'il a osé t'appeler princesse. Comme si ce titre pouvait te convenir. Tu es une reine par tous les dieux. Alors Etan ? Ewan ? Eytan ? Tes parents auraient pu t’appeler John franchement, c’est plus commun comme prénom, plus toi quoi. Et puis c’est facile à retenir. Evidemment, tu exploses de rire lorsqu’il te parle de présenter tes excuses. D’une, cette expression n’appartient pas à ton vocabulaire. De deux, tu es Jude Watt-Dickens, tu t’excuses seulement auprès de ton miroir quand tu passes moins de 30 minutes avec lui à ton réveil. De trois, tu ne reçois d’ordre de personne, encore moins d’un vieux trentenaire qui se prend pour ton patron. Bien que tu apprécies d’être égérie d’une marque de cosmétique, ta vie ne résume pas à ça. Tu n’es pas une de ces minables mannequins qui souhaitent à tout prix être reconnue. Tu étais célèbre bien avant de travailler avec l’entreprise Hartwood. La seule raison pour laquelle tu as accepté de signer ce contrat, c'est pour qu'on s'occupe de toi. Et pour voir ton visage placarder sur des affiches un peu partout dans le monde. Arrête de pleurer. Si tu avais voulu une esclave, tu aurais engagé n’importe quelle cruche photogénique. La vérité en exclusivité. Le choix de tes mots n’est pas anodin, tu as bien fait attention avant de les sélectionner. S’il espère parvenir à te contrôler, il va falloir qu’il trouve une autre technique parce que tu n’éprouves aucun respect à son égard. Contrairement à son assistance dont l’attitude te plait. Il devrait peut-être envisager de prendre exemple sur elle, parce que s’il perd son sang-froid au moindre obstacle, il peut aller se pendre avec sa cravate. Le monde n’a pas besoin de gens comme lui, il réclame des gens comme toi.