Je me réveille d’un seul coup, en sueurs, le coeur battant la chamade et la respiration rapide. Encore ce cauchemar, ce souvenir.
C’était il y a dix ans. Main dans la main avec Jaimie, plus heureuse que jamais, j’allais annoncer à mes parents que j’assumais mon homosexualité. Je revois leur regard, la haine, le dégout. Et puis ma soeur qui ne disait rien. Elle n’a même pas essayé de me défendre. Sans doute pensait-elle la même chose que mes parents. Ce jour là, tout s’est écroulé, j’ai tout perdu. Ils étaient tout ce que j’avais de plus cher, on était une famille unis, et tout s’est envolé dans un nuage de fumée. Ils ont soufflé sur le chateau de cartes. J’ai bien essayé de garder contact avec ma soeur. Après tout, des jumelles, c’est sensé être proches non ? Et bien non. Trop différentes, l’opposé l’une de l’autre, les année ont passé, et plus aucune nouvelle. J’ai pris mon indépendance, optant pour Londres comme nouveau QG. C’est là que j’ai commencé à travailler, et que je suis entrée dans la plus grande école de théâtre du pays. J’essaie de me calmer. Ressasser le passé n’est pas une bonne chose. Je me décide donc à appeler Eileen.
Eileen, ses boucles blondes et ses grands yeux vers. Je me suis sentie électrisée le jour où mon regard a croisé le sien, c’était le premier jour où j’ai commencé à donner des cours de théâtre. Elle était une de mes élèves. Et puis l’attirance a été plus forte que tout, plus forte que le jeu, que ces scènes que j’ai jouées sans cesse avec elle, pour ‘montrer’ aux autres élèves qu’on pouvait jouer tout en étant sincère. Mais à ce moment là, je ne jouais plus. J’ai senti dès le premier jour qu’elle serait la seule, l’unique. Mon coeur n’a jamais tambouriné dans ma poitrine comme il le fait quand elle est près de moi. Les mains moites, les papillons dans le ventre, tous ces symptômes qu’on ne ressent pas pour mille personnes dans une vie. Elle me propose de passer chez elle, ce soir. Un sourire s’étend sur mes lèvres. Je n’attendais que ça. Le reste de la journée passe si lentement que j’en ai la tête qui tourne. Mais vient rapidement l’heure des retrouvailles. J’enfile ma plus belle tenue et me rend chez Eileen, le coeur battant. Lorsqu’elle ouvre la porte, mon coeur rate un battement. Elle est tellement belle. Je lui offre un sourire radieux, et elle prend ma main pour m’emmener dans le salon, où nous nous asseyons sur le canapé.
«Alors, ça va pas ?» Je hausse un peu les épaules.
«Un petit coup de déprime, mais ça va mieux.». Je ne me suis jamais sentie aussi attirée par quelqu’un. Comme deux aimants, nous nous rapprochons un peu plus au fil de la soirée. Son regard me réchauffe, et sans attendre plus longtemps, je commence à devenir plus tactile, plus féline. Elle ne me repousse pas.
«T’es toute seule ce soir ?» «Oui. Maxim travaille de nuit.» «Comment ça va avec lui ?» Elle hausse les épaules et fuit mon regard. Je pose mon index sous son menton et la force à me regarder.
«Qu’est-ce qui se passe ?» «Je sais pas, il est bizarre en ce moment, il s’énerve pour rien, il... il est violent...» Je soupire un peu et ne peux m’empêcher de me rapprocher pour venir la prendre dans mes bras. Mes mains dans ses cheveux, j’y plaque un baiser et décale finalement ma tête pour la regarder dans les yeux.
«Il ne te mérite pas.» Je lui souris, une nouvelle fois. Parce qu’avec elle, je n’ai envie que de sourire.
«Kyrah...» «Oui ?» «J’ai... j’ai envie de...» Son regard jongle entre mes yeux et mes lèvres. Je ne sais pas si le message que je perçois est celui qu’elle m’envoie, mais je ne tarde pas à déposer mes lèvres sur les siennes. Mon coeur implose, il bat si fort que j’ai l’impression que tout l’immeuble pourrait l’entendre. Il ne nous faudra pas plus longtemps avant d’atteindre la chambre. Les mains d’Eileen se font plus tactiles, plus gourmandes. Je ne sais pas si elle a déjà fait ça avant, mais une chose est sûre, elle se débrouille comme un chef. Je peux dire que c’est la plus belle nuit de ma vie. Une symbiose comme je n’en ai jamais vécue. C’est troublant et à la fois tellement plaisant. Je me sens entière, pour la première fois. Après avoir fait l’amour comme si notre vie en dépendait, Eileen s’endort dans mes bras, et je ne pense pas une seule seconde que son petit ami pourrait rentrer en plein milieu de la nuit. Pourtant, c’est le bruit de la porte qui nous réveille.
«Eileen chérie j’suis rentré !». Mon coeur reprend sa course folle. A peine le temps de sortir du lit et d’enfiler mon boxer que Maxim entre dans la chambre. Eileen semble pétrifiée. Je me dépêche de récupérer mon t-shirt que j’enfile sans prendre la peine de chercher mon soutien-gorge.
«C’est quoi ce bordel ?» «Max je suis désolée, c’était un accident c’est...» Il s’approche d’elle, après m’avoir fusillée du regard, et la prend par le poignet pour la forcer à se lever. Elle est nue, l’humiliation extrême.
«Tu t’fous d’ma gueule c’est ça ? T’es qu’une putain de trainée ! UNE TRAINEE !» Il la giffle et la pousse violemment pour la mettre à terre.
«Hey mais t’es dingue ! Laisse là tranquille !» Je sens une violence inouïe monter en moi. Mais le temps que j’arrive à leur niveau, il a déjà donné plusieurs coups de pieds à Eileen. Je me jette sur lui en hurlant et je mets en pratique mes cours de self défense. Après avoir reçu un bon lot de coups de poings, j’arrive à lui asséner un coup qui le déséquilibre, et le fait tomber sur le coin de la commode, avant de tomber au sol. Je me précipite vers Eileen qui est recroquevillée au sol.
«Eileen, réponds moi... parle moi...» Je récupère sur la table de nuit le téléphone et appelle directement les secours. Je plonge ma main dans celle d’Eileen et la serre un peu plus.
«Tiens bon ok ? Je suis là.» «Appelle la police, je veux qu’ils le mettent en prison. Je veux qu’il disparaisse.» Sa voix est faible, elle me brise le coeur. Je me retourne alors vers la grosse brute et me rends compte qu’il gît dans une mare de sang.
«Merde.» Je lâche Eileen et me précipite vers Maxim, avant de poser deux doigts sur son cou, pour prendre son pouls. Il est mort. Putain. Mon coeur s’emballe encore plus. Je passe mes mains nerveusement dans mes cheveux.
«Kyrah... Qu’est-ce qui se passe ?» Je me lève, mes jambes ne me tiennent qu’à moitié.
«Il... il est mort.» Je tourne alors le regard vers Eileen. Je ne suis plus là, je ne suis plus que l’ombre de moi-même. Je viens de tuer un homme. Paniquée, je sors de l’appartement en courant, pieds nus et en boxer/t-shirt. Tant pis. Je cours à perdre haleine dans les rues de Londres pour rentrer chez moi, récupérer quelques affaires, et quitter la ville avant qu’ils ne me retrouvent.
***
Assise dans le pub là où ma jumelle m’a donné rendez vous. J’attends. L’heure tourne. Il faut qu’elle m’aide, il faut qu’on trouve une solution pour que j’échappe à la prison. Il n’est pas question que je croupisse en prison alors que je n’ai pas fait exprès de le tuer, cet enfoiré. L’espace d’un instant, je pense à Eileen, j’espère que tout ça ne lui retombera pas sur le coin de la gueule. Le serveur arrive avec un coli.
«Kyrah O’Denell ?» Je hoche la tête.
«On m'a donné ça pour vous.» Je récupère la boîte en carton et l’ouvre, perplexe. A l’intérieur, un passeport, un jeu de clés, un téléphone portable, un écrin contenant une bague, une photo de ma soeur et son mari, et une lettre. Je m’empresse de l’ouvrir.
Kyrah,
Je suis désolée de ne pas pouvoir être là en face de toi. Mais j’ai une mauvaise nouvelle. Je suis tombée malade, il y a quelques jours j’ai appris que j’avais un cancer foudroyant, en phase terminale. Lehyan n’est pas au courant, je ne veux pas l’inquiéter. Je sais que tu es dans le pétrin avec ce qu’il vient de t’arriver. Alors j’ai réfléchi, et je te laisse l’opportunité de prendre soin de mon mari. En échange, je t’offre mon identité, ma vie, ma maison, et tout le reste. Je sais que tu t’en sortiras. Prends soin de lui, la vie te le rendra.
Je t’aime,
Dylan.Une larme coule le long de ma joue. Dix ans que je n’ai pas de nouvelles de ma soeur, et j’apprends, par une simple lettre, qu’elle va mourir dans les jours qui viennent. J’ai envie de hurler. Mais je dois rester forte. Digne. Alors j’enfile son alliance à mon annulaire gauche, et après un long soupir, je vais payer mon café, et me dirige vers la maison de ma soeur, dont elle m’a laissée l’adresse. J’entre la clé dans la serrure et Lehyan me saute littéralement dessus.
«Dylan t’es rentée ! J’me suis fait un sang d’encre !» Il m’embrasse à pleine bouche et malgré la surprise, j’essaie d’être le plus naturel possible, entrant peu à peu dans mon rôle.
«Oui je... pardon. J’avais besoin de me retrouver un peu seule avec moi-même.» «C’est pas grave tu sais... on va s’en sortir. On l’aura ce bébé.» Merde. Merde merde et re merde. Qu’est-ce que je suis en train de faire ?
***
On sonne à la porte. Assise en tailleur sur le lit, je pianote sur mon mac, écrivant des lignes et des lignes. Ma soeur était auteur, et son éditeur commence à me mettre la pression pour récupérer le manuscrit de son/ mon dernier roman. Nous n’avons pas tout à fait le même style d’écriture, je vais donner un nouveau souffle à l’écriture de Dylan Roseburry.
«Chérie ? Ma soeur vient d’arriver, tu descends ?» Sa soeur. J’avais complètement oublié. Je remonte mes cheveux dans un chignon décousu et garde mes lunettes sur le bout de mon nez pour descendre accueillir ma ‘belle soeur’. Je descends une marche et mon coeur est à deux doigts de s’arrêter quand je découvre Eileen, là, dans son salon. Putain de merde. Je remonte à toute allure et essaye de me calmer comme je peux. Il faut que je reste dans mon rôle. Je suis Dylan et je ne connais pas cette fille. Je me change pour avoir l’air plus ‘Dylan’, je refais mon chignon un peu mieux et redresse mes lunettes. Je racle un peu ma gorge et finis par descendre.
«Je suis là, pardon il fallait que je finisse mon chapitre. Bonjour !» Je souris, et essaie d’être la plus naturelle possible. Eileen me regarde comme si elle avait vu un fantôme. Je viens vers eux, enfouis ma main dans celle de Lehyan, le plus naturellement du monde et les regarde tous les deux.
«Eileen, ça va pas ?». Elle ne me lâche plus du regard, et je finis pas froncer les sourcils.
«Je crois que je reviens pas à ta soeur !» Je me mordille un peu la lèvre et souris.
«Kyrah ?» Mon visage change en entendant mon prénom. Et mon coeur, n’en parlons pas.
«Euh... non... moi c’est Dylan. Mais euh... tu... tu connais ma soeur ?» «Ta soeur ?» «Oui, j’ai une soeur jumelle que j’ai pas vu depuis plus de 10 ans, j’en parle jamais parce qu’on est brouillées et que j’aime pas parler de ça.» «Oui. Je la connais. La ressemblance est frappante. Je suis désolée, je suis un peu destabilisée.» «C’est dingue. Le monde est petit quand même. Elle va bien ?» «Je sais pas... ça fait un an que j’ai pas de nouvelles d’elle.» Je sens que la cohabitation va être TRES compliquée. Tous les souvenirs qui reviennent, tous ces sentiments. J’ai juste envie de la prendre dans mes bras, l’embrasser... Et elle va rester plusieurs mois. Je sais pas si j’arriverai à gérer...