Ma main glisse sur le calendrier. 1er février. Ça fait presque un an que je suis là, que j’ai pris la vie de ma soeur jumelle. Il y a des jours où je regrette. Et puis il y a des jours où j’imagine ce qu’aurait pu être ma vie si je n’avais pas fui. Est-ce que j’aurai été en prison ? Est-ce qu’Eileen aurait pris ma défense comme j’aurai pris la sienne pour l’éloigner de cet homme violent ? Au jour d’aujourd’hui je ne sais même pas si la police me recherche toujours. Il y a quasiment un an des officiers sont venus me poser quelques questions, enfin quelques questions à Dylan, plus précisément. Je me suis dépatouillée comme j’ai pu, mais à l’intérieur de moi, c’était l’enfer. Je pouvais sentir les flammes. Aujourd’hui, plus de nouvelles, et c’est tant mieux. Une nouvelle vie s’est offerte à moi, je ne peux plus rien changer maintenant. Les choses sont comme elles sont, et ma vie avec Lehyan est comme ma punition pour tout ce que j’ai fait. Ce n’est pas Lehyan en soi le problème. C’est juste de devoir vivre avec un homme. Moi qui revendiquait mon homosexualité il y a encore un an. Voilà où j’en suis rendue.
On sonne à la porte. Assise en tailleur sur le lit, je pianote sur mon mac, écrivant des lignes et des lignes. Ma soeur était auteur, et son éditeur commence à me mettre la pression pour récupérer le manuscrit de son/ mon dernier roman. Nous n’avons pas tout à fait le même style d’écriture, je vais donner un nouveau souffle à l’écriture de Dylan Roseburry. «Chérie ? Ma soeur vient d’arriver, tu descends ?» Sa soeur, putain sa soeur. J’avais complètement oublié. Je remonte mes cheveux dans un chignon décousu et garde mes lunettes sur le bout de mon nez pour descendre accueillir ma ‘belle soeur’. Je descends une marche du grand escalier en bois et mon coeur est à deux doigts de s’arrêter quand je découvre Eileen, là, dans mon salon. Putain de merde. Je remonte à toute allure et essaye de me calmer comme je peux.Mon coeur rate un battement. Puis un nouveau. Quoi faire ? Il faut que je reste dans mon rôle. Je suis Dylan et je ne connais pas cette fille. Je me change pour avoir l’air plus ‘Dylan’, je refais mon chignon un peu mieux et redresse mes lunettes. Je racle un peu ma gorge et finis par descendre. «Je suis là, pardon il fallait que je finisse mon chapitre. Bonjour !» Je souris, et essaie d’être la plus naturelle possible. Eileen me regarde comme si elle avait vu un fantôme. Je viens vers eux, enfouis ma main dans celle de Lehyan, le plus naturellement du monde et les regarde tous les deux. «Eileen, ça va pas ?». Elle ne me lâche plus du regard, et je finis pas froncer les sourcils. «Je crois que je reviens pas à ta soeur !» Je me mordille un peu la lèvre et souris.  Je sens que la cohabitation va être TRES compliquée. Tous les souvenirs qui reviennent, tous ces sentiments. J’ai juste envie de la prendre dans mes bras, l’embrasser... Et elle va rester plusieurs mois. Je ne sais pas si j’arriverai à gérer...

Ayr. Quelle ville vraiment intéressante. Ça fait longtemps que je n’y avais pas mis les pieds. Il y a quelques jours que je suis arrivée en fait, j’ai passé quelques soirées avec Léo. J’ai mis une journée entière à m’en remettre, on ne peut pas dire que ça a été de tout repos. Mais je suis enfin là devant la porte de la maison de mon frère. C’est la bonne adresse.

Je m’apprête à frapper, puis j’hésite.
S’il n’a vraiment plus envie de me revoir ?
Si sa femme me déteste ?

Tant de questions que je balaie de mon esprit. Je n’en ai rien à faire d’elle, c’est mon frère. J’ai besoin de lui. Je n’ai pas un sous. Déjà rien qu’à Londres, la famille de Maxime a fini par me jeter en dehors de l’appartement. Je ne peux plus faire autrement. Finalement, je frappe et quelques secondes plus tard, mon grand frère apparait.

Il est si beau. Encore plus grand.
Plus fort.
Il est devenu un homme charmant.

Je saute dans ses bras, serre Lehyan contre moi. Personne ne peut imaginer le bonheur que je ressens en le voyant. Trop de temps passé sans lui. Je ressens enfin le manque qui m’a envahi après autant de temps. On discute pendant quelques minutes jusqu’à ce qu’il me parle de son grand amour. Sa femme. Dylan, à ce que je sais. Il l’appelle et me tenant toujours contre mon frère, je discute avec lui jusqu’à ce qu’elle fasse son apparition.

Non…
Mon corps se disloque, mon âme se déchire.
Mon esprit est aspiré par les enfers.
La mort veut m’emporter.

Mon frère abandonne finalement ce contact qui me tenait encore à terre. Il serre la main de Kyrah. C’est Kyrah, pas Dylan. J’ai envie de dire son prénom, j’ai envie de le crier, autant que j’ai envie de pleurer, de me jeter dans ses bras pour l’embrasser avec la passion qui tambourine mon corps. Sa voix est exactement la même. Et puis… ses grains de beauté… au même endroit. Simplement la tenue, les lunettes…

« Eileen ? » La voix de mon frère me rappelle à l’ordre. Je ne fais plus attention à lui. Ma gorge est nouée par la douleur. Je me retiens de pleurer comme jamais. Pourquoi est-ce qu’elle se fait appeler Dylan ? Pourquoi elle tient mon frère aussi intimement alors qu’elle est à moi ? Je sens que c’est elle, j’en suis sûre.

« Ce…ce n’est pas… Elle…Tu t’appelles Kyrah… Pas Dylan… » Je bégaye, l’émotion me submerge.

Je me sens vaciller, je me sens mal. J’ai envie de tomber, de ne plus tenir. Je tiens le coup en espérant que ce n’est qu’un rêve. Doucement et ce malgré les tremblements, mes mains se rejoignent contre mon ventre. Entre deux doigts, je serre la peau de ma main.

Aïe !
Ça fait mal !

Ce n’est pas un rêve…

« Je te reconnais. Tu es Kyrah. Tu es… » Je délire pour eux. Pour ma part, je suis en train de perdre pied.

C’est difficile. Je ne m’attendais pas à devoir vivre cette scène un jour dans ma vie. S’il y a beaucoup de choses auxquelles j’ai pensées, beaucoup de choses que j’ai imaginées, celle là n’en faisait pas partie. Alors je serre un peu plus la main de Lehyan, me sentant de plus en plus mal à l’aise. J’essaie de faire bonne figure, évidemment, je ne veux surtout pas qu’il s’aperçoive de quoi que ce soit. Malgré tout, depuis un an, je me suis habituée à sa présence. Je ne l’aimerai jamais comme Dylan l’aimait, mais je m’efforce de lui donner ce que je peux. Et si ça ne passe pas par le sexe, ça peut au moins passer par l’attention et les gestes tendres. La seule chose que je puisse faire. Alors là, de voir débarquer ce fantôme du passé, j’ai presque besoin de me cacher dans les bras de cet homme qu’il y a un an je ne connaissais même pas. Mais j’ai peur. J’ai horriblement peur que mon passé me rattrape. Que toute cette couverture foire une fois pour toutes, et que tout soit dévoilé au grand jour. « Ce…ce n’est pas… Elle…Tu t’appelles Kyrah… Pas Dylan… » Je la regarde, je ne peux pas quitter mon regard de son visage. Mon coeur bat à tout rompre et je n’arrive pas à le calmer. «Kyrah ? C’est qui Kyrah ?» « Je te reconnais. Tu es Kyrah. Tu es… » Je passe une main nerveuse dans mes cheveux. «Non. Je ne suis pas Kyrah. Je... Ok... visiblement tu connais ma soeur.» «Eileen t’es sûre que ça va ?» Il lâche ma main pour aller soutenir sa soeur. Tu m’étonnes. Et il se retourne vers moi. «Attends, c’est quoi cette histoire ?» «Kyrah, c’est ma soeur jumelle. Je ne l’ai pas vue depuis plus de 10 ans. On se parle plus depuis longtemps.» Eileen me regarde. J’ai mal au coeur, j’aimerai pouvoir me ruer sur elle, la prendre dans mes bras pour la rassurer, lui dire que oui, c’est bien moi, que je suis désolée, que je n’ai pas passé un jour de cette dernière année à ne pas penser à elle. Je brûle de l’intérieur, je sens mon estomac se nouer, j’ai envie de fondre dans un trou de souris, dormir pendant des jours et me réveiller quand tout ça sera terminé. «Alors tu connais ma soeur ? Elle... comment elle va ?». Il faut que je reste Dylan, il faut que je reste Dylan. Cette phrase raisonne dans ma tête. Ne pas perdre de vue mon objectif, même si Eileen est en train de foutre royalement le bordel dans ma couverture. Je perds déjà pieds alors qu’elle n’est là que depuis dix minutes à peine. Qu’est-ce que je vais pouvoir faire ou inventer pour qu’elle finisse par me croire. Croire que je ne suis pas Kyrah. Parce que oui, je ne suis plus Kyrah. Cette période est révolue. Je dois me faire à l’évidence. Mais la présence de cette femme dans ma vie, dans mon quotidien, dans ma maison, ne va pas être une mince affaire. Et j’ai déjà peur de l’issue des choses. Je dois absolument rester concentrée, même si mes mains tremblent à moitié, et que je n’arrive toujours pas à quitter son visage, ses cheveux ébène. Ne pas repenser à cette nuit. Surtout pas. J’essaie de respirer le plus naturellement possible mais ça devient de plus en plus compliqué. Je m’adresse alors à Lehyan. «Tu devrais l’asseoir.» Ce qu’il fait donc, s’asseyant avec elle sur le canapé. «Je vais lui chercher un verre d’eau.» Je cours presque dans la cuisine. J’ai envie de vomir tellement l’émotion est puissante. Je m’appuie quelques secondes contre l’évier, pour respirer. Et puis je remplis un verre d’eau et le ramène dans le salon pour le tendre à Eileen. Ne frôle pas ma main je t’en supplie.

Bien sûr que mon frère n’a pas entendu parler de Kyrah. Je ne pourrais pas m’en étonner vu la situation. Kyrah a fui pour rester libre. Tel un oiseau, pouvoir continuer à voler et ne pas être en cage par injustice. Parce qu’elle a raison… elle m’a simplement défendu, elle m’a simplement protégée. Si elle était restée, elle n’aurait pas eu de problèmes.
Parce que c’est une  héroïne, pas une criminelle…
Je pense avoir raison et j’en suis sûre. Cette femme que j’ai en face de moi n’est autre que Kyrah. Je lui en veux de ne pas m’avoir appelé, de ne pas avoir essayé de me revoir depuis tout ce temps. Je lui en veux de me mentir, de passer cette main nerveuse dans ses cheveux alors que j’ai l’impression que je vais tomber par terre, que le sol se dérobe sous ses mensonges.
La présence de mon frère ne change rien à ce que je ressens. C’est Kyrah… quoi qu’elle en dise, quoi qu’elle puisse ressentir pour nier la chose.
Sa sœur ? Non… deux sœurs se différencient.
Pourquoi… ? Pourquoi suis-je folle à leur yeux ?
Si je connais Kyrah ? C’est toi !
Tu n’es pas Dylan, tu es Kyrah !
Mon cœur bats si fort que je n’entends rien, je ne cherche pas à les écouter. Mon monde vient de s’écrouler alors que j’ai essayé depuis des mois de me remettre de ce qu’il s’était passé, de me dire que Kyrah m’a oublié, qu’elle ne s’est pas enfuie avec moi parce qu’elle ne m’aimait pas tant que ça. Tellement de choses que j’ai voulu me mentir mais je sais maintenant que si elle me dit qu’elle est Kyrah, je lui en voudrais sûrement quelques secondes avant de lui faire l’amour.
Pleurer. Une chose que j’ai envie de faire.
J’ai mal à la gorge mais je dois répondre :
« Elle a disparu. »
Je me contente seulement de ça parce j’ai besoin de respirer, j’ai besoin de retrouver le contrôle de mon corps et de ma vie. Mon frère a du mal à réagir face à mon angoisse, face à mon mal être. Il pensait que j’étais guéris, que je n’étais plus malade dans ma tête malgré la mort de Maxime. Je le sens bien qu’il est dégouté de m’avoir sous ses yeux, que je le gêne dans sa vie si paisible.
Et puis Kyrah… Dylan… peu importe… Je n’arrive pas à y croire.
Pourtant, elle est distante, elle n’est pas franchement rivée sur moi.
C’est à peine si j’ai pu percevoir la moindre réaction en me voyant.
Peut-être que les souvenirs de Kyrah sont flous… Peut-être même que j’ai oublié certaines choses qui font les différences entre Dylan et Kyrah… C’est ce que je me dis. Lehyan comprend totalement que je suis touché par la disparition de Kyrah. Il ne comprend pas la teneur de ma relation avec elle. Et tant mieux, je ne veux pas qu’il sache. Encore moins qu’il ait peur que je m’en prenne à sa femme.
Tout se passe à 100km/h dans ma tête. Lehyan m’attire près du canapé, je m’y assois sans vraiment l’être, je suis sur la défensive. Elle revient avec un verre. J’aimerais tellement qu’elle s’avoue, qu’elle me dise que c’est elle.
Kyrah a vraiment disparu ? Je ne sais plus quoi penser de la situation. Mes doigts glissent contre ceux de Dylan… Cette réaction dans mon bas-ventre me fait mal, si soudainement que j’inspire et cache ma réaction par quelques sanglots. Sa peau… cette sensation… Kyrah me la faisait ressentir durant nos séances de théâtres.
Lehyan se rapproche de moi et me tient contre lui. Ma tête contre son torse, j’essaie de retrouver la sérénité d’esprit. Tenant le verre entre mes mains, sur mes cuisses, je ferme les yeux pour me détendre.
« Bois un peu » me dit-il.
J’obéis. L’eau est froid, mon corps brûlant.
Ça fait du bien.
« Désolé … »
Je soupire. Que dire à présent ? J’ai encore du mal à m’y faire. Je lève les yeux sur … Dylan, c’est ça ? Elle est pareille qu’à mon souvenir. Celui-ci serait-il dégradé ? Aurais-je changé ma vision de Kyrah à cause de mes thérapies ?
« Tu lui ressembles tellement… C’est juste… que… elle a tué… Maxime… par accident… C’était qu’un accident… »
Mes yeux me font mal, brûlent ma chair. J’ai envie de pleurer. Mon frère me retire mon verre pour le poser sur la table basse et me serre encore plus dans ses bras. Je passe mes bras autour de ses épaules pour le serre contre moi, enfouir mon visage dans son cou.
Ah… Lehyan… j’ai oublié à quel point ça me faisait du bien de me réfugier dans ses bras. Je me sens protégée et c’est encore mieux qu’une pilule de Xanax. C’est naturel, c’est tout. Ça fait du bien. Encore sanglotant, j’ouvre les paupières.
Mon regard se pose dans celui de Dylan (Kyrah). Je m’en veux de vouloir qu’elle m’embrasse alors qu’elle est mariée à mon frère. Je ne pouvais pas faire ça à mon frère. J’ai toujours été sans-gêne mais j’avais mes limites. Kyrah et Lehyan sont mes limites.

Eileen semble au plus mal, et c’est le capharnaüm à l’intérieur de moi. Je voudrais pouvoir la serrer contre moi et lui dire que tout est fini, que je suis là, que tout ira bien pour elle, que je la protègerai de tout. Au lieu de ça, je dois m’efforcer de rester à l’écart. Loin, loin de sa peau, de son regard, de ses lèvres qui semblent pourtant m’appeler. Elle ne me lâche pas des yeux, mon coeur saigne, mon ventre est plus serré qu’il ne l’a jamais été. «Elle a disparu.» Elle me brise le coeur. Son attitude, sa façon de me regarder, de respirer avec difficulté. Je l’ai vue si belle, si joyeuse, si vivante. Aujourd’hui elle est livide, et j’y suis pour beaucoup. Ça me ronge déjà de l’intérieur. «Disparue.» Je murmure. Je suis blessée par ce mot. Même si c’est la stricte vérité. J’ai disparu. Ma soeur a disparu, tout le monde a disparu et il ne reste qu’un tissus de mensonge : moi. Mes mains tremblent. Il faut que je m’éclipse avant que Lehyan s’aperçoive de quoi que ce soit. Alors je vais chercher un verre d’eau à Eileen. Putain. Mais s’il m’avait dit son prénom ne serait-ce qu’une fois, j’aurai au moins pu faire le rapprochement, me préparer à sa présence, blinder mon mensonge et ma comédie. Au lieu de ça je me retrouve face à mon passé, à tout ce que j’aurai voulu enfouir au plus profond de moi.
Je savais bien. Je savais bien qu’un jour quelqu’un viendrait et foutrait le bordel dans ma nouvelle vie. Tout ne pouvait pas se passer comme je l’avais imaginé, ça aurait été bien trop facile. Appuyée sur l’évier de la cuisine, j’essaie de reprendre un rythme cardiaque normal. Il faut que j’arrive à calmer ma respiration qui est trop saccadée. Il ne faut surtout pas que je lui mette la puce à l’oreille. Jamais. Je laisse couler l’eau pour qu’elle soit fraiche et remplis un verre, que je bois d’une traite avant de le re remplir pour Eileen. Je lui rapporte en contractant la totalité de mon ventre, enfouissant en même temps toutes les émotions qui auraient envie de surgir d’un seul coup. Je lui tends le verre qu’elle attrape sans plus tarder. Voilà qu’elle frôle mes doigts. Je ne réagis pas. Du moins, à l’extérieur, rien ne se voit. Mais il ne faudrait pas être à l’intérieur de moi. Un long frisson parcourt l’intégralité de ma colonne vertébrale et mon coeur est à deux doigts d’imploser. Merde.
Je reste là, debout à les regarder tous les deux. Lehyan est avec sa soeur très protecteur, je sens qu’il est un peu démuni par tout ça. Et je le comprends. J’enfouis mes mains dans mes poches et reste pour l’instant à l’écart, à quelques mètres d’eux. « Désolé … » Elle lève les yeux sur moi. Je ne peux pas vraiment fuir son regard, ce serait comme avouer toute cette mascarade. « Tu lui ressembles tellement… C’est juste… que… elle a tué… Maxime… par accident… C’était qu’un accident… » J’ouvre grand les yeux, essayant tant bien que mal de rester dans mon rôle. «Alors c’est bien elle qui l’a tué...» Je soupire et passe mes mains dans mes cheveux. «La police est venue il y a quasiment un an pour me demander si j’avais des nouvelles d’elle. Parce qu’il y avait eu un mort...» Je me laisse tomber sur le fauteuil non loin de là. «C’est pas vrai...». Je soupire un peu et retire mes lunettes pour me frotter l’arrête du nez. Lorsque je relève les yeux, Lehyan a déjà pris sa soeur tout contre lui. J’en viens presque à être jalouse. Mon ventre se serre. Et puis Eileen ouvre les yeux et je croise son regard. J’esquisse un mince sourire qui se veut réconfortant. Je n’ai pu m’en empêcher. Mais il est si froid qu’elle ne pourrait grâce à lui s’imaginer une seule seconde que je ne suis pas la femme de son frère.
Un téléphone se met à sonner, sur la table basse. C’est celui de Lehyan. Je tends le bras et regarde l’appelant. «C’est ton boulot.» Il plaque un baiser sur le front de sa soeur et se lève pour récupérer le téléphone de mes mains avant de me glisser à l’oreille «Occupe toi d’elle je fais vite !» «Mais...» pas le temps de finir qu’il est déjà parti. Putain de merde. Pitié, pas ça. Pourtant, je n’ai pas le choix. Je fais quelques pas et viens m’asseoir sur la table basse, juste en face d’elle, après avoir pris soin de pousser le verre. «Je... je suis désolée pour cette surprise. J’étais à mille lieues d’imaginer que tu pouvais connaître Kyrah. Je comprends que ça puisse être un choc de me voir. Surtout si vous étiez proches. Vous l’étiez ?» Je plonge mon regard dans le sien, mais là, seulement à quelques centimètres d’elle, je perds presque mes moyens. Il faut que je me ressaisisse, que j’arrête de penser que ses lèvres sont si près des miennes. Putain de bordel.

Il semblerait qu’elle apprenne la nouvelle. Mais il « semble », voilà une bien belle nuance. Je suis encore sous le choc, je n’ai pas l’esprit clair pour essayer de savoir si cette femme qui ressemble tant à la fille qui a fait chavirer mon âme est bien ce qu’elle prétend être ou alors, qu’elle n’est qu’un mensonge. Chose dont j’ai du mal à réfléchir. Je suis encore… chamboulée.
Toutes mes pensées se tournent vers une unique femme : Kyrah. Je repense à elle et ce qu’on a vécu et j’ai l’impression que tout ça devient de plus en plus lointain. Que si Kyrah avait voulu me revoir, si elle m’aimait, elle aurait fait le premier pas vers moi. Mais rien…
La police est donc venu voir « Dylan », ils sont venus les voir et lui ont parlé. Comment n’ont-ils pas cité mon nom ? Celui de Maxime ? Simplement essayer de savoir s’ils avaient eu des contacts avec Kyrah. Qu’ils sont fourbes, salauds… Je me sens si mal.
« Mais elle ne l’a pas fait exprès ! » Je crache malgré moi.
Défendre Kyrah, c’est tout ce que je peux faire. J’ai aimé Maxime mais j’aime davantage Kyrah même si petit à petit, j’ai mal de son absence ou si Dylan est vraiment Kyrah, son mensonge me fait encore plus de mal. Mais je n’ai pas envie de penser à ça. Le passé remonte tellement en moi que j’ai besoin de me poser, de mon frère contre moi.
Ça fait tellement de bien. Une épaule que je connais que trop bien, de confiance…
J’espère que Lehyan me garde dans ses bras, et cela pour longtemps. Mais une musique sonne à mes oreilles, Dylan tend le portable à mon frère. Je frémis sous ce baiser fraternel et réconfortant. Je le regarde s’éloigner en susurrant des mots à sa femme… ou la mienne ?
Il part.
Il m’abandonne à mon chagrin.
Je baisse mon regard vers le sol, glisse mes doigts dans mes cheveux. J’essaie de ne pas regarder Dylan. J’ai l’impression de voir Kyrah, j’ai l’impression de retrouver les détails de la femme que j’ai aimée en elle. Je n’ai pas envie d’aimer Dylan à cause de Kyrah. Parce que cette dernière a disparu et m’a laissé seule.
Dylan reprend la parole. Rien que de l’entendre, j’ai l’impression d’entendre Kyrah. Mon cœur continue de saigner, de supplier qu’elle se taise. On me dit que ce n’est pas elle, mais j’ai tellement de mal.
Si je suis proche de Kyrah ? Elle n’imagine pas à quel point je suis malheureuse de son absence. Que je me moque qu’elle ait pu tuer Maxime. Ce n’était qu’un accident, elle m’a défendue de la violence. Elle est bien plus que l’oxygène qui m’aide à vivre.
« J’ai aimé Kyrah bien plus que la raison. Elle est devenue bien plus précieuse que le monde, la personne la plus importante. Mais j’étais avec Maxime… il était si jaloux… il est devenu si violent… Elle m’a sauvé la vie… Maxime est mort de sa faute à lui, et elle a fui malgré tout… elle aurait dû rester. Elle m’a abandonnée… »
La police pense qu’elle est coupable. Qu’elle a souhaité la mort de Maxime à cause de notre amour. Un crime passionnel. Mais non… ils ne comprennent pas. Et j’ai peur que mon frère ne comprenne pas ce que je ressens. J’ai peur qu’il soit effrayé à l’idée que je puisse aimer sa propre femme.
Mon regard se plante dans celui de Dylan. Quelques centimètres et je pourrais l’embrasser. Je me retiens avec force de ne pas le faire. Elle me repousserait…
« Ne le dis pas à mon frère. Je ne veux pas… qu’il soit préoccupé à cause de ça. S’il-te-plait, ne lui dis rien… »
Plus je la regarde, plus je vois Kyrah. Et malheureusement… plus je la désire. Le passé si délicieux remonte en moi. Partager entre la colère et l’amour, je vacille évidemment vers le plus beau sentiment qui soit. Ma main monte à son visage, mes doigts frôlent sa joue… plus que quelques millimètres et je pourrais l’embrasser.
Lehyan est bien trop loin pour nous surprendre, bien trop loin pour voir mon désir pour sa femme. Alors que je vois en elle la mienne et non la sienne.