C’est couvert par les fous d’Amsterdam, dans son crane. La fumée s’échappe par le toit, elle est verte, c’est dingue, de l’absynthe pure qui vire par les cheminées. Ils sont forts, ils sont définitivement forts. Y a du street fight soudain, entre un japonais et un pakistanais, elle est projetée au centre de la cage. A moitié étouffée par la poussière qui remonte, les coups traversent son corps qu’existe même pas - Putain ce que ses rêves pouvaient être glauques.

On lui avait dit; te saoules pas, Phinaë, t’as l’alcool bizarre, tu nous fais carrément des cauchemars, c’était pire cette fois. Enfin vous comprenez, le sexe punaise. Le sexe, c’était mieux que le thé, c’était mieux que l’intégrale de FRINGE saison deux, c’était mieux que les chats qui s’écrasent sur vous dans la chambre, passé trois heures du matin. Le sexe, c’est parfait.
Additionné à la cuite, elle ira loin, Phinaë. La rousse entrouvre les yeux, se retrouve embrassée dans des couettes pleines de fleurs - C’est mon lit, dieu merci, c’est mon lit, fera-t-elle dans un supplice à personne - et la voix encore teintée d’ébats de Nadeshda dans les oreilles. Ah elle l’aime cette voix, elle le sait, elle le lui a dit… que ça plaisait.
Phinaë glisse, disparaît au bout du lit, sous le linge froissé de partout - Ouais comme dans le combat de rue de ton rêve - elle inspire, elle a bien quelques secondes à elle, ressort, c’est facile. Suffit de dire, “Ma tête, bordel.”

A titre expérimental, Phinaë s’était risquée à un enchaînement vain de tentatives de résistance à la cuite totale. Sixième échec. Nadeshda était sa partenaire de beuverie, elles s’oubliaient au bar toute la nuit, finissaient au club et en sortaient titubant, pire que des culbutos. - Jude se serait foutu de sa gueule. - Mais a priori, elle tenait un minimum l’alcool, ou au moins la tequila. Phinaë ne touchait jamais aux joints de ses camarades d’un soir, elle était plutôt observatrice et curieuse de ceux dont les joues se coloraient vite de niaiserie acide, c’était marrant. Phinaë n’oubliait pas. Elle n’oubliait pas que Nade et elle se permettaient une complicité langoureuse la nuit. Elle sentait encore sa main contre son épaule, ça la faisait sourire contre le rayon de soleil qui s’écrasait sur sa poitrine. Nade elle l’a trouvait belle depuis le début, belle pour ses mots et ses yeux qui se plissent sous le rire, sa facilité à écouter les interminables histoires tragiques qu’elle pouvait bien lui lancer saoule. Belle pour sa personne adorable et riant de tout.

Une fois elles s’étaient embrassées. Aujourd’hui elles avaient fait l’amour. Non elles avaient couché ensemble. Non, elles s’étaient envoyées en l’air. Non. Phinaë ne trouvait pas le terme exact, Phinaë se redressa, assise sagement sur le lit. Elle tendit les bras au plafond, fatiguée d’avoir trop dormi, et puis gentiment, d’un étirement familier de ses lèvres, celui docile, qui dit bonjour, elle amena la mèche brune et emmêlée de Nade derrière son oreille. Ce qu’elle était jolie, Nade. “Y a du mascara plein les draps, Nade.”
Silence. “Bonjour toi.”

“C’est pas grave” souffla-t-elle, un peu rocailleuse, dégageant les draps d’un geste lacunaire.
Elle pensait qu’on se souvenait des nuits comme ça. Elle pensait qu’on les gardait, comme on le ferait pour un fou dans un coin de sa tête. Parfois, ça hante, parfois, ça dévore de passions endormies, on voudrait se lobotomiser, histoire de ne pas ressentir le manque ça provoque, la dépendance inexpliquée, le souffle court, les yeux grands ouverts d’impatience.
“Non, non. C’était bien. Prends-ton temps. Reste déjeuner.” Mais Phinaë Abernathy se tenait calme, le corps à découvert, peu consciente de sa place, au milieu de cette chambre. Sa chambre, en fait. Il lui semble que peu de filles ont terminé ici, en grande partie parce que ses colocataires se seraient surpris de la voir accompagnée. Ce matin-là était calme, elle prit le temps de jeter un œil à la housse de l’oreiller, la retira délicatement, la déposa au sol tout en se levant. Elle ouvrit l’armoire en grand, en extirpa des sous-vêtements et une chemise, de quoi se couvrir, surtout.

Il y avait une certaine intimité entre Nadeshda et Phinaë, elle s’expliquait par une patience mutuelle et une envie de ne pas se compliquer la vie aussi. D’ailleurs, elles étaient allées là où elles avaient voulu… c’était le principal. Hein, Phin ? Elle pourrait se sentir détendue, là, sur le pas de la porte, enchaînant les boutons qui glissent entre ses doigts diaphane. Elle devrait se taire, elle le fait. Une minute, réfléchit à ce qu’elle peut dire de sensé. Dingue le nombre de voix qui peuvent atterrir dans une tête sans prévenir, parce que ça fait toujours plaisir, avec une gueule de bois.
“Je vais faire chauffer la bouilloire. Ça te dit, du pain perdu tout frais de chez Polly ?” Enfin, c’est juste sa recette.

Oh, elle devrait vraiment se rappeler la nuit, maintenant. Quinze heures. Phinaë Abernathy voulait disparaître.